Picasso et les maîtres ou l’histoire de la peinture occidentale par le grand maître de l’art pictural du siècle dernier. Voilà ce que l’on peut découvrir le long de cette formidable exposition qu’abrite jusqu’au 2 février prochain les galeries nationales du Grand Palais. Une dizaine de salles exposant plus de 200 œuvres issues des collections les plus prestigieuses, françaises et étrangères, publiques et privées. Ces toiles présentées de manière très dense, par thématiques, suivent peu ou prou les périodes et les passions de Picasso.
De Cranach l’ancien aux impressionnistes, en passant par les grands peintres espagnols, El Greco, Goya, Velázquez, mais aussi Rembrandt, Cézanne, Courbet, Van Gogh, la liste est longue, l’exposition aussi.
« Je peins contre les tableaux qui comptent pour moi, mais aussi avec ce qui manque à ce musée là (le musée imaginaire). C’est tout aussi important, il faut faire ce qui n’est pas, ce qui n’a jamais été fait. ». Voilà le postulat de base de Picasso, c’est dit, c’est fait.
Parce qu’il ne sera pas question ici de passer au crible toute l’exposition qui lui est consacrée, je me contenterais d’attirer votre attention sur quelques tableaux, leur place dans la quête picturale de Picasso et leur dimension dans la biographie de ce dernier.
La période bleu, El Greco, l’enterrement de Casagemas.
« Si mes personnages de l’époque bleue s’étiraient, c’est probablement à l’influence du Gréco qu’ils le doivent », nous dit Picasso.
L’enterrement de Casagemas est une interprétation libre de L’enterrement du comte d’Orgaz, un tableau exécuté par Le Gréco en 1586 pour la décoration de la chapelle funéraire de l’église Santo Tomé à Tolède, que Picasso découvrit au cours
d’une visite scolaire. Peint en 1901, L’enterrement de Casagemas, est dédié, à son ami, Casagemas qui s’était suicidé dans son atelier parisien pour une femme, un modèle, Germaine Gargallo, dont il ne parvenait à se faire aimer. Il tentera d’assassiner cette dernière au Café de la Rotonde, en février 1901, puis retournera l’arme contre lui. Germaine esquivera la balle qui lui était destinée tandis que Carlos succombera. Picasso confiera plus tard au critique d’art Pierre Daix « C’est en pensant à Casagemas que je me mis à peindre en bleu ». A l’opposé de la représentation traditionnelle de l’élévation christique accompagnée d’anges, Carlos Casagemas est représenté en compagnie de deux femmes nues, d’une mère et de deux enfants jouant. Trois prostituées symbolisées par de longs bas colorés, semblent accompagner le mort en sa dernière demeure, l’érotisme et l’humour se substituent au tragique et à l’austérité. Au-delà, de la séparation entre monde terrestre et monde céleste, Picasso préfère la sensualité à la solennité.
Les Ménines d’après Velázquez.
Aucune œuvre n’aura semble-t-il autant occupé Picasso, que le tableau « Las Meninas », l’œuvre célèbre peinte en 1656 par l’Espagnol Diego Velázquez.
Picasso a plus de 75 ans, lorsqu’il entreprend, entre le 17 août et le 30 décembre 1957, une série de 58 peintures à l’huile de formats très divers se référant toutes au tableau L’exposition permettra d’apprécier plusieurs dessins et toiles réalisés à ce propos par Picasso. Le tableau de Velázquez se consacre entièrement à décrire les relations sociales de la cour. Des clairs-obscurs harmonisés et des dégradés de couleurs tonales viennent étayer le sujet et le message. En cela, Velázquez se montre, comme le déclarera Picasso, lui-même, le «vrai peintre de la réalité». La réalité de la vie du peintre de cour qu’est Velázquez est formulée clairement. Celle-ci était régie par une hiérarchie rigoureuse, ce que la composition exprime: l’artiste est relégué sur les bords. Pendant son travail, ce dernier s’adresse aux personnes qui constituent le centre de la vie de cour, le roi et le reine. Cette réalité se manifeste peut-être le plus clairement dans la personne de l’infante qui, selon l’étiquette, vient immédiatement après le couple royal : elle aussi dirige son regard vers le roi et la reine qui se réfléchissent dans le miroir du fond.
Dans les variations réalisées par Picasso, deux opérations picturales éclairent la transformation qui a eu lieu. L’artiste a changé de format, la personne et la position du Peintre dans le tableau s’en trouvent nettement revalorisées et la scène se présente d’une manière plus narrative. Si le peintre est encore placé sur la gauche, son chevalet et lui-même occupent désormais un bon tiers et presque toute la hauteur du tableau. Le chambellan à l’arrière-plan, les personnages d’Etat au second plan et le couple royal dans le miroir ont été peints à la hâte, selon le schéma d’une réduction infantile. Deux composantes majeures chez Velázquez, la couleur et la lumière, ont été totalement modifiées par Picasso, qui dépeint son modèle dans les déclinaisons du blanc et du gris. L’artiste est devenu maître de son monde, et de ce qu’il choisit de représenter.
D’autres variations, registre important de son œuvre, sont présentes au musée d’Orsay (Picasso / Manet, le déjeuner sur l’herbe) et au Louvre, selon une formule de moindre envergure (Picasso / Delacroix, Les femmes d’Alger).
Le nu bien sûr …
« Je ne veux dire le nu. Pas faire le nu comme un nu. Je veux seulement dire seins, dire pied, dire main, ventre… Il faut trouver un moyen de faire le nu comme il est. » , nous dit Picasso, dans des propos rapportés par Hélène Parmelin.
L’exposition, présente deux nus parmi les plus fameux et les plus décriés de l’histoire de la peinture, Maya Desnuda de Francisco de Goya, peinte en 1797 et l’Olympia de Manet. Réalisé en 1863.
L’exposition présente deux répliques à ces tableaux, il s’agit notamment de Nu couché sur le dos, peint en 1969, et Nu couché jouant avec un chat, peint 1964. Réalisé après la suite des déjeuners sur l’herbe, le nu couché jouant avec un chat, n’est pas à proprement parlé une variation. Picasso fait siens les éléments de la toile de Manet, la servante noire et le chat, pour les introduire dans son tableau, selon une tonalité anecdotique, qui s’oppose à la gravité quasi solennelle dont témoigne l’Olympia de Manet.
Pour ce qui est des commentaires, l’audio guide pourra pallier à l’ insuffisance des explications écrites, essaimées avec parcimonie et l’absence de guide papier à l’entrée. Enfin, pour pouvoir apprécier pleinement l’exposition, il faut compter deux heures, et de la patience à l’entrée des Galeries du Grand Palais, car la fréquentation est à l’image de l’exposition très dense.
Picasso et les maîtres,
Galeries du Grand Palais
Tous les jours sauf le mardi
12€ / 8€