Jorge Amado, écrivain et journaliste d’origine brésilienne, est avant tout un homme engagé.
Militant communiste, il dut subir l’exil à plusieurs reprises, tantôt en Argentine, tantôt en Europe. Son engagement lui valut d’être emprisonné une douzaine de fois, ses livres furent mêmes brûlés et détruits.
Son œuvre se consacre presque entièrement à décrire la situation du prolétariat noir et métisse des environs de Bahia, état dans lequel il grandit et vécu une grande partie de son existence.
Suor, son troisième roman, écrit en 1934, ne déroge pas à la règle, il y décrit avec rage et lyrisme la misère et l’oppression des classes populaires brésiliennes.
Ils sont ouvriers, vagabonds, malades, prostitués, opprimés de tous bord. Ils ont trouvé refuge au numéro 68 de la Montée-du-Pelourinho en plein cœur de la vieille ville de Salvador de Bahia. Tenu par un espagnol peu scrupuleux, le 68 abrite : « un monde fétide, sans hygiène, et sans morale, avec des rats, des jurons et des gens ». Des réduits, composés d’une salle, d’une chambre, et d’un simulacre de cuisine, où la promiscuité conjuguée à la chaleur rend fou. Les rongeurs y sont rois, et seuls les serpents sont gras à force de dévorer des rats, qui n’en finissent pourtant pas de courir en tous sens. Amado dépeint tout à tour, une vingtaine de personnages, qui se croisent, tantôt s’aiment, tantôt se haïssent, se quittent, meurent parfois.
Les femmes sont blanchisseuses, couturières ou prostitués, les hommes sont ouvriers sur les quais, ou au service de la compagnie des tramways. Les riches ont tout, eux, n’ont rien, et n’auront jamais rien.
Bien qu’il soit clair qu’Amado se pose en porte parole de cette population là, il ne manquera jamais de monter leurs petites médiocrités, les jalousies, la violence, la naïveté souvent, la bêtise parfois, la révolte latente, permanente, de ceux qui n’ont plus rien à perdre, pas même leur déjeuner. Ils n’ont qu’un seul malheur, irrémédiable, celui d’être pauvre, tellement pauvre, qu’il n’y a plus grand plaisir à vivre. Ils n’ont qu’un seul tord, celui d’être miséreux, et cette misère là est impardonnable. Leur vie n’est que lente dégringolade, la folie et la maladie pour seule échappatoire.
On lit, on entend, on respire le bruit de la révolte qui sourd entre les pages du livre. Mais en attendant la révolution ou en attendant de mourir, il ne leur reste plus qu’à suer, suer la pauvreté, exsuder la honte, la peine, le remord, le désir d’être autre, celui d’être riche.
Si l’intérêt du livre ne réside pas dans le style très simple à l’image des protagonistes, il demeure en revanche davantage dans l’acuité du propos, la précision des descriptions, la capacité à dépeindre l’univers de ces laissés-pour-compte de la rue du Pelourinho et du Brésil en général.
En lisant, ce roman, on ne manquera pas de se demander ce qu’il en est aujourd’hui des couches populaires du Brésil, de la misère et de l’oubli, et il faudra bien se rendre à l’évidence, les choses n’ont pas tant changé.
Jorge Amado, Suor
Folio, 190 pages