Ligne de faille relate l’existence de quatre membres d’une même famille, avec un même repère fixe, la sixième année de chacun d’eux. Six ans, c’est aussi l’âge auquel Nancy Huston doit se séparer de sa mère qui part refaire sa vie loin d’elle et de ses frères et sœurs. Dés lors, Ligne de faille est cassure, limite avant le basculement qui emporte chacun des personnages dans les tourments de l’histoire.
Le roman est une interrogation sur la filiation dans ses dimensions familiales, historiques, politiques, il porte sur ces résidents de l’Europe et des Etats-Unis, d’hier et d’aujourd’hui. Le récit revient sur ces visages pris dans les affres de la deuxième guerre mondiale, puis de la guerre du Liban, pour s’attacher enfin à décrire le rapport d’une famille américaine face au conflit qui oppose le gouvernement américain au régime irakien.
L’exercice permet à l’écrivain de se livrer à une série de commentaires sur les rapports et les conflits intergénérationnels. D’une critique de l’éducation et de la société américaine, hygiéniste et conformiste, Nancy Huston questionne le rapport quasi schizophrénique du peuple américain au racisme et la morale. Par le prisme du portrait sans concession qu’elle dresse de l’enfant roi, elle met en perspective le choc des images de guerre et des images sexuelles librement accessibles, presque offertes à l’enfance via l’Internet, alors que la morale prend une importance capitale dans l’éducation.
Les récits de l’enfance
L’auteure opte pour une narration fortement empreinte de tonalité enfantine, dans laquelle la confidence se mêle à la confession. L’oeuvre est une magnifique réflexion sur l’enfance, ses peurs, ses craintes et ses espoirs, qui emporte le lecteur dans une douce poésie à la fois grave et sincère.
Nancy Huston nous parle des stigmates de l’enfance, de ces plaies qui ne se referment jamais tout à fait , à l’image du grain de beauté, matière organique et héréditaire qui marque le corps et l’esprit de l’adulte.
Relief de l’intime, le grain de beauté est un témoin, celui d’une condition, d’une histoire et de l’histoire avec un grand H. Dés lors, celui de Sol, que l’on veut ôter, s’infecte, comme s’il ne voulait pas quitter un territoire, la généalogie d’une histoire. Oublier son histoire c’est peut-être se condamner à la revivre. Dans Ligne de Faille, le corps et l’esprit remontent encore le fil de l’histoire, racontent la genèse de quelques vies, les aléas d’une civilisation.
Nancy Huston, Ligne de faille, Actes Sud, 2006, 481.